Qi (spiritualité)

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Le qi [tɕʰi˥˩] (chinois simplifié :  ; chinois traditionnel :  ; pinyin :  ; Wade : ch'i⁴ ; EFEO : ts'i), ou ki [xǐ] (japonais : 気), est une notion essentielle de la culture sino-japonaise qui désigne un principe fondamental formant et animant l'univers et la vie[1],[2],[3],[4].

Dans cette approche spirituelle, le englobe tout l'univers et relie les êtres et les choses entre eux. Dans un organisme vivant, il circule à l'intérieur du corps par des méridiens qui se recoupent tous dans le « centre des énergies » appelé « champ du cinabre », tanden au Japon et dāntián en Chine. Il est présent dans toutes les manifestations de la nature.

La notion qi n'a aucun équivalent précis en Occident. Apparaissent toutefois de nombreux liens de convergence avec la notion grecque de πνεῦμα / pneûma (« souffle ») , et dans la même optique avec la notion d'esprit (en latin « spiritus » dérivé de spirare, souffler), qui signifie souffle, vent.

Plusieurs concepts de la philosophie indienne s'en rapprochent, tels que le prana (प्राण / prāṇa), le soma (सोम / soma) ou l'ojas (ओजस् / ojas).

Notion[modifier | modifier le wikicode]

Sinogramme

Le qi reste difficile à traduire. D'abord parce que sa notion s'étend à différents aspects de la vie et de l'univers, dans une cosmologie spécifique à la Chine. Ensuite parce que le sens a évolué tout au long des époques, au gré de l'influence de différentes écoles de pensée. Une analyse rapide de la graphie 氣 (écriture non simplifiée) nous montre de la vapeur 气 au-dessus du riz 米, qui donne une traduction étymologique très réductrice, « énergie produite par l’absorption du riz », exprimant l'idée que le qi est produit par l'air et l'alimentation. L'alimentation n'étant qu'un moyen parmi d'autres de produire du qi. Le Chinois moderne n'a retenu que la partie supérieure 气, et rejoint ainsi dans l'esprit le caractère primitif formé de trois lignes horizontales 三, symbolisant les courants atmosphériques, similaire au caractère 三 désignant le nombre « trois ».

La notion de qi évolue simultanément sur trois plans ; celui des êtres vivants, celui de la structure de l'univers et celui de la spiritualité. Par extension, la notion s'utilise aussi pour rendre compte d'un effet d'harmonie, qu'il soit artistique, architectural ou corporel. L'interprétation du en terme d'énergie reste propre à l'Occident, car elle n'apparaît jamais dans les textes chinois qui en restent, eux, à l'idée d'un souffle ou d'une essence[5].

Souffle vital[modifier | modifier le wikicode]

Tout au long de son histoire, la pensée chinoise désigne le comme un souffle vital à la circulation alternée yin/yang, inspiration-expiration. L'idée s'inspire de l'image de la brume qui se faufile entre les objets de la nature, de la vapeur qui sort des bouches ou émane de la chaleur des marmites, ou encore des nuages qui se forment et se défont. Ce souffle animerait et accompagnerait la naissance, l'existence et la mort dans un cycle permanent de renouvellement. La philosophie taoïste et la médecine traditionnelle chinoise en font une sorte d'essence immatérielle, invisible et inodore, qui anime et réchauffe les corps selon un mode de circulation précis. Le fœtus recevrait des deux parents le souffle primordial (yuanqi 元气), de sa vie fœtale le souffle prénatal (jīng 精), à partir desquels va s'élaborer son propre qi grâce à l'activité du dantian situé au bas-ventre. Durant l'existence, le qi se formerait aussi à partir de la digestion et de la respiration, pour alimenter la conscience, la pensée et la spiritualité sous forme de qi spirituel (shén 神). Dans la médecine traditionnelle, l'état pathologique serait engendré par une mauvaise circulation du qi, ou par la circulation d'un qi nocif. Elle désigne alors un qi favorable à la bonne santé, et un qi vicié qui engendre la maladie.

Principe fondamental de l'univers[modifier | modifier le wikicode]

Le qi est aussi un principe fondamental et unique, qui donne à l'univers et aux êtres leur forme, tout en les transformant sans cesse. Il circule indifféremment dans les choses et les êtres, les reliant en permanence. Dans la cosmologie chinoise, le pré-existe à l'émergence du yin et du yang, deux aspects de ce souffle qui vont en se combinant permettre la formation des dix-milles êtres (wànwù 万物), c'est-à-dire des êtres et des objets de l'univers.

Au premier moment du cosmos aurait existé une forme indifférenciée, nommée wújí (無極), durant lequel le qi originel (yuánqì 元气) était encore unaire, indifférencié. Puis cette forme se serait polarisée, se divisant en un pôle yin et un pôle yang pour fonder ce qui est nommé Tàijí (太极), littéralement la « poutre faîtière suprême » du cosmos, clef de voûte de la structure de l'univers. À partir du tàijí, les combinaisons yin-yang vont varier quasiment à l'infini pour engendrer le monde, dans un mouvement permanent de transformation que la pensée chinoise a traduit dans le Classique des Mutations, Yi Jing (易經), par 64 hexagrammes. Le yin est lui-même composé d'une part de yin et d'une part de yang, idem pour le yang. Par ces deux composantes yin et yang, le qi s'exprime ainsi de différentes manières, alternativement par du froid, de la chaleur, de l'ombre, de la lumière, du calme (lac), de l'activité (vagues, vent), un matériau plus ou moins compact (terre, bois ou pierre). La cosmologie chinoise désigne également cinq mouvements fondamentaux du , wǔxíng (五行), littéralement « cinq phases » traduit maladroitement par « cinq éléments » : bois, feu, terre, métal, eau. Ces cinq agents représentent cinq modes de fonctionnement du souffle, qui se succèdent indéfiniment selon un cycle. Sous Qin Shi Huang, le cycle les fait se succéder dans un rapport de domination ( 克), qui peut indiquer le type de dynastie future à conduire au terme d'une précédente, ou les rites à célébrer selon les saisons. Ainsi l'eau domine-t-elle le feu, lequel domine le bois et ainsi de suite. Puis ils se comprennent selon un cycle d'engendrement (shèng 勝) sous la Dynastie Han[6], où l'eau engendre le bois, le bois engendre le feu et ainsi de suite. Ces cycles décrivent l'effet de la croissance du yang, de son apogée, puis de l'amorce de son déclin qui annonce la croissance du yin, lequel atteint son apogée puis commence à décliner, annonçant ainsi à nouveau la croissance du yang ; la phase terre étant la période de transition. L'ensemble peut représenter un schéma spatio-temporel dynamique, inspiré de la course du soleil à travers la voûte céleste (lever, zénith, coucher) avec l'alternance des saisons, et les points cardinaux, tous liés à l'activité alternative yin-yang.

Ce principe, qui n'est jamais pensé comme une divinité[7], inscrit l'être humain dans les mêmes lois naturelles que celles de l'univers. Les nervures du jade, par exemple, sont considérées comme étant organisées par la même influence du que pour les veines du corps humain. L'être humain est alors pensé comme un cosmos en miniature.

Morale et essence spirituelle[modifier | modifier le wikicode]

Dans la philosophie taoïste, et particulièrement dans sa forme religieuse, le qi est perçu comme participant à l'évolution spirituelle d'un être. C'est en raffinant le souffle par des opérations « d'alchimie corporelle » que le pratiquant espère progresser dans son développement spirituel, et atteindre un état mental censé rejoindre le fonctionnement fondamental du cosmos. Le taoïsme et le néoconfucianisme (qui prône la conformité de l’ordre social) parlent alors de retour au wuji, avec pour objectif idéal l'existence éternelle. La pratique emprunte à l'alchimie son vocabulaire, faisant du champ de cinabre inférieur, ou dantian inférieur, l'endroit où se fabrique et s'entretient le qi en tant que substance vitale. Le second champ d'élixir, situé au niveau du cœur-sternum, transforme le qi en shén, qui est un souffle plus subtil propre à la pensée. Enfin, la tête contient le troisième dantian où le shén se transforme en un souffle propre à la spiritualité, celui qui est censé mettre le pratiquant dans un état d'unité avec le cosmos, c'est-à-dire le conduire à agir selon les lois intrinsèques d'équilibre de l'univers que le taoïsme nomme la Voie, ou Tao (道), également état originel du cosmos. Cette pratique se base sur des exercices de respiration et de visualisations mentales, alliés parfois à des mouvements ou postures.

Dans la philosophie confucianiste le est associé au [8], principe structurant des êtres et des choses. La bonne morale et les règles sociales doivent suivre les lois naturelles qui régissent l'univers, et ces lois émanent du principe . Toutefois le qi garde sa nature fondamentale, de sorte que la morale reste directement reliée à la corporalité accueillant la circulation du qi. Corps et esprit restent intimement liés, les philosophes travaillent leur qi pour affiner leur morale.

S'agissant de l'âme ; dans la spiritualité indienne le prāṇa semble être un équivalent du , que le français nommerait alors âme (même origine indoeuropéenne que prana). Mais l'âme possède aujourd'hui plusieurs sens qui ne coïncident plus avec la notion de .

Manifestation d'une harmonie[modifier | modifier le wikicode]

Dans la pensée chinoise la nature sauvage nous semble harmonieuse parce que le qi s'y manifeste de façon harmonieuse, selon la loi naturelle du Tao. Le tao est le principe par lequel le qi parvient à une équilibration, c'est-à-dire un état d'équilibre entre yin et yang sans cesse changeant en fonction des mutations en cours. L'eau qui s'écoule dans un ruisseau et change de forme au gré des obstacles traduit cette harmonie, cet état d'équilibration. C'est cet état naturel d'harmonie que la pensée chinoise cherche à reproduire dans les activités humaines. Une toile de maître sera ainsi harmonieuse si le qi y « coule » de façon harmonieuse, donnant des tonalités, couleurs et contrastes équilibrés (pour l'œil). Un pratiquant d'arts martiaux exécuter son enchaînement de manière harmonieuse quand le qi s'y exprime comme s'il évoluait dans la nature ; la gestuelle devient alors fluide et les mouvements s'enchaînent avec une impression de facilité, comme s'ils étaient naturels. Un boucher coupe sa viande sans efforts quand il respecte le sens des fibres et les insertions par un geste expérimenté. La pratique, l'assiduité et l'expérience conduiraient à s'approcher de l'état d'harmonie.

D'une manière générale, l'harmonie traduit ainsi la bonne circulation du qi, que ce soit dans l'aménagement intérieur d'une habitation (fēng shuǐ 風水), dans la calligraphie ou même la composition gastronomique. Elle manifeste l'équilibre entre yin et yang nommé « juste milieu », zhong (中) que l'on retrouve dans le caractère désignant la Chine 中國 (zhongguo|Zhōngguó) « l'empire au milieu des autres » et aussi « l'empire qui recherche l'équilibre ».

Le sinogramme[modifier | modifier le wikicode]

Évolution du sinogramme[modifier | modifier le wikicode]

Si la notion pose des problèmes de traduction [9], d'autant que la signification a changé au fil des époques, on peut se référer directement aux caractères chinois qui ont servi à l'évoquer, notamment à partir du dictionnaire Shuowen Jiezi élaboré par Xǔ Shèn au IIe siècle. L'origine du mot reste trouble, les pictogrammes qui pourraient contenir la même signification que celle d'aujourd'hui sont difficiles à identifier.

Les premières traces archéologiques évoquant le montrent, gravée sur une carapace de tortue, une graphie à trois barres horizontales. De type d'écriture jiǎgǔwén (甲骨文), époque des Zhou occidentaux, elle représente la vapeur ou la brume[10]. Cette même graphie se retrouve sur une tasse de thé en bronze, la qihe hú (壶), datant de la même période mais « fondue » en graphie de type jīnwén (金文)[11]. L'idée de qi apparaît également sur un bijou de jade datant de la période des Royaumes combattants (-403 à -256), le xingqi ming (texte des mouvements) exposé au musée de Tianjin, sous la forme du sinogramme 炁. Celui-ci se compose de 既 (皀 + 旡, bol de riz + agenouillé) sur le radical 灬, qui se rapporte au feu (huǒ 火). Dans le système d'écriture lishu, sous la Dynastie Han (-206 à 220), le est exprimé par un caractère combinant la vapeur 气 sur le feu 火. C'est seulement sous la Dynastie Song (960 - 1279) que le est représenté par le caractère 氣 qui évoque la vapeur émanée de la cuisson du riz ; c'est-à-dire au moment où la médecine chinoise a besoin de transcrire une substance issue de la nourriture et de la respiration. Graphié en style songti ou zhengkai, ce sera l'idéogramme encore utilisé de nos jours.

Sinogramme actuel[modifier | modifier le wikicode]

Le sinogramme traditionnel 氣, qui désigne le , illustre le caractère à la fois matériel et immatériel de la notion. Le sinogramme a pour clé le pictogramme 气 (). Utilisé comme clef pour les gaz[12], il représente un nuage convectif et signifie l'air. La partie inférieure gauche du sinogramme est le pictogramme 米 (), qui représente des grains de riz et signifie riz[13]. Le caractère complet 氣 exprime ainsi l'idée du riz qui explose. S'il représentait autrefois le riz pour les invités, il symbolise aujourd'hui le souffle vital, puis également l'esprit et la morale[14]. Il est aussi à associer au prana[15] de la médecine ayurvédique dont les concepts demeurent très proches de ceux de la médecine chinoise, et qui possède la même origine étymologique indo-européenne (*ane-, « souffle vital ») que le mot âme en français[16].

Le sinogramme décrit donc le comme étant à la fois aussi immatériel et éthéré que la vapeur et aussi dense et matériel que la céréale. Il signifie également que le est une substance subtile (vapeur) dérivée d'une substance grossière (céréale)[17].

Si, comme vu précédemment, le mot âme a des origines étymologiques communes avec le prana, la philosophie chinoise désigne plus précisément par shén (神) la notion d'âme[18]. La notion , désignant alors l'idée d'énergie vitale, manque d'un équivalent précis en Occident. Si aucun terme global ne parvient à retranscrire véritablement la nature du , de nombreuses traductions partielles restent possibles selon le contexte : « souffle vital », « énergie », « force vitale », etc.

Les centres du qi[modifier | modifier le wikicode]

La médecine traditionnelle chinoise établit l'existence de trois zones de concentration du , réparties dans le corps le long du méridien Ren. Elle les nomme dāntián 丹田, champ d'élixir. Dans le langage commun ce terme désigne la zone localisée au bas-ventre, appelée plus précisément xiàdāntián 下丹田, champ d'élixir inférieur.

  • Dāntián inférieur (下丹田)

Autrement nommé qìhǎi 气海, mer de , il est celui dont on parle le plus parce qu'il fabrique du . C'est le fameux hara (nombril) ou seika tanden japonais, ou hypogastre français. Le taoïsme et la médecine traditionnelle chinoise en font le lieu de transformation de l'essence jīng en . Jīng 精 désigne à la fois le souffle qu'on reçoit des parents, et celui qui découle de la digestion. Sa position se repère à deux largeurs de doigt (environ 3 cm) sous le nombril et s'enfonce de 4 doigts à l'intérieur de l'abdomen.

  • Dāntián médian (中丹田)

Autrement nommé tánzhong 檀中, ce centre transforme le en souffle spirituel (shén 神) qui anime la vie mentale et la conscience. Sa position se repère au niveau du sternum, sur une ligne horizontale à hauteur des tétons.

  • Dāntián supérieur (上丹田)

Autrement nommé yintáng 印堂, il transforme shén l'esprit en une sorte d'état spirituel libre conduisant à ce que les philosophies taoïstes et confucianistes nomment le retour au wuji 無極 ou 无极. Il se situe entre les deux sourcils, à 3 cun 寸 à l'intérieur du corps, soit environ 4 doigts.


Le point abdominal est un symbole fort dans cette croyance. On peut remarquer que :

  1. Lorsqu'une personne respire, c'est son ventre qui se gonfle et se dégonfle (les poumons s'étendent vers le bas en poussant le diaphragme et les viscères à l'inspiration), on peut le constater en regardant une personne dormir.
  2. Le centre de gravité du corps humain se situe vers cet endroit : si l'on allonge une personne sur une balançoire à bascule, il faut que ce point soit au-dessus du pivot pour que la planche puisse rester horizontale ; au judo, de nombreuses techniques de projection consistent à bloquer le corps sous ce point pour le faire basculer.
  3. La mère porte le fœtus dans son ventre.

La coïncidence de ces phénomènes explique l'importance qu'ont pu accorder certaines cultures à ce point précis du corps. La manifestation la plus dramatique de l'importance de ce point est sans doute le seppuku (suicide rituel japonais parfois appelé à tort hara kiri), qui consiste à s'ouvrir le ventre avec un tantō (couteau-sabre).

Circulation du qi[modifier | modifier le wikicode]

Méridien Du, par Hua Shou 1716

La circulation du qi dans le corps a été découverte par empirisme, au fil de siècles de pratique en Chine. L'existence même du qi et sa circulation n'ont pas trouvé de validation expérimentale dans le domaine scientifique. La circulation du qi reste donc l'interprétation d'une expérience sensitive, que la médecine traditionnelle chinoise lie à l'activité cérébrale, la pensée. Les éventuels effets sont mesurés par observation d'autres paramètres comme le rythme cardiaque, la pression sanguine, les changements de température, la sudation, le tonus musculaire, la douleur, etc. De prudentes recherches cliniques sont par exemple menées en Chine, à l'Institut de médecine traditionnelle de Chongqing ou à l'Institut de physique et des hautes énergies de Pékin. La médecine chinoise distingue deux formes de qi, le souffle intègre (zhèngqì 正氣) garant d'une bonne santé et le souffle vicié (xiéqì 邪氣) générateur de maladies[19]. Le qi circule soit en phase yang, soit en phase yin, dans des canaux spécifiques.

C'est d'après ces schémas de circulation que furent définis des exercices statiques (par la pensée) et dynamiques (par le mouvement) de développement et d'entretien du qi, à dessein de préserver une santé autant physique que mentale et morale. Les mouvements du tai chi chuan 太极拳 et du hsing i chuan 形意拳 par exemple respectent ces principes de circulation. En alliant respiration et mouvements, ces arts martiaux internes chinois stimulent le qi dans les méridiens en plus d'offrir un système martial efficace.

Les méridiens[modifier | modifier le wikicode]

Le qi engendre différentes sensations lorsqu'il circule dans le corps, sous forme de chaleur ou de picotements. C'est en concentrant leur attention sur ces sensations que, par empirisme, les médecins traditionnels chinois ont pu établir au fil des siècles un réseau de circulation parcourant le corps. Ce réseau est défini par des méridiens principaux et secondaires, autrement appelés vaisseaux, et par des points. La sensation est éprouvée soit par sensibilité naturelle, soit après des exercices de qigong. C'est ainsi que la médecine traditionnelle chinoise insiste sur le fait que la circulation du qi interne est corrélée, d'une certaine manière, à l'activité de la pensée. La topographie de ces canaux et points n'a pas varié au fil des époques et des expériences, de sorte que le schéma proposé par le médecin Li Shizhen de la dynastie Ming (1368 - 1644), dans son livre « Exploration des huit canaux extraordinaires », reste valable dans un livre contemporain d'acupuncture[20]. Ont ainsi été établis 12 méridiens dits ordinaires, et 8 méridiens dits extraordinaires ou curieux. Ces méridiens relient en tout 361 points d'acupuncture, auxquels s'ajoutent 48 points hors méridiens, fixés et adoptés en 1987 lors du colloque de Séoul[21].

La sensation la plus classique se manifeste sur deux méridiens principaux, qui sont le vaisseau conception (Ren Mai 任脉), qui descend du dessous des yeux vers l'entre-jambe par la face avant du corps, et le vaisseau gouverneur (Du Mai 督脉) qui remonte de l'entre-jambe vers le sommet du crâne par le dos, pour finir entre le nez et la bouche (philtrum). Le ren mai alimente tous les méridiens dits yin, le du mai tous les méridiens yang. Chaque partie du corps possède son méridien yin et son méridien yang. Chez les personnes entraînées, les sensations se manifestent sur les douze méridiens (zheng jing 正经) des pieds et des mains — trois méridiens par côté et par face — selon le sens suivant : sur un corps bras levés, les trois méridiens yin montent du pied, sur la face avant de la jambe, puis l'abdomen, en passant par les aisselles et les paumes pour aboutir aux trois doigts auriculaire, majeur et pouce ; les trois méridiens yang descendent des trois doigts index, annulaire et auriculaire par le dos de la main, l'épaule, remontent vers la tête par la nuque et redescendent dans le long du dos vers l'arrière des jambes, les mollets, jusqu'aux pieds. Mais la plupart des exercices classiques visent la circulation du qi dans ce qui est nommé « les huit méridiens extraordinaires » (Qi Jing Ba Mai 奇经八脉) : gouverneur (Du 督), conception (Ren 任), pénétrant (Chong 冲), ceinture (Dai 带), régulateur yin (Yinwei 阴维), régulateur yang (Yangwei 阳维), motilité yin (Yinqiao 阴跷) et motilité yang (Yangqiao 阳跷)[22].

Il existe encore d'autres méridiens qui relient également les viscères et d'autres organes, la peau et les muscles. Mais leur schéma change selon les époques et les écoles de médecine, bien qu'il existe désormais un schéma de référence pour l'acupuncture contemporaine.

Autour du corps[modifier | modifier le wikicode]

Selon la tradition chinoise, la circulation interne du qi dans le corps génèrerait un flux constant de qi externe autour du corps, d'après un schéma établi par empirisme et qui n'a pas connu de modifications au cours des époques. Pour correspondre à une vision plus contemporaine, cette activité a été nommée « champ de qi » à l'image du champ magnétique. Mais la comparaison reste strictement métaphorique et ne doit pas laisser penser que le qi engendre un champ magnétique. Le schéma décrit un flux linéaire qui file le long du corps, et un flux circulaire qui s'enroule comme un solénoïde autour des membres et du corps. Le champ linéaire parcourt la face extérieure droite du corps de haut en bas, sort par le pied (et la main), puis remonte en décrivant un arc de cercle pour rejoindre le haut de la tête avant de redescendre le long du corps. La face gauche du corps est parcourue par un champ similaire en sens opposé. Le champ circulaire entoure chaque membre, le tronc et la tête en spirale.

Les trois portes[modifier | modifier le wikicode]

Les trois portes ou passages difficiles, sanguān 三关, sont appelées ainsi parce qu'elles se réfèrent à des zones où le passage du qi est difficile. Situées le long du méridien du, on trouve le passage weiluguān 尾闾关 au niveau du coccyx, le passage jiajiguān 夹脊关 autour du point mingmen 命門 (porte de la vie) au niveau de la seconde lombaire, et le passage yuzhenguān 玉枕关 (coussin de jade) au niveau de l'occiput. Raideurs, douleurs et congestions à ces endroits témoignent, selon la médecine chinoise, d'un passage difficile du qi. Des massages, l'acupuncture ou des techniques de contractions-respirations sont alors utilisés pour fluidifier la circulation.

À chaque porte sa fonction. Quand le qi circule par la porte du coccyx, autrement nommée porte de la moelle (suikong 髓孔), il stimule la moelle et le système immunitaire. Un autre nom, changqiang 长强, en fait aussi un générateur de vitalité. Lorsqu'il circule par la porte de la vie, il est censé stimuler le fonctionnement des reins. Et quand enfin il passe par la porte du coussin de jade, aussi appelée porte des fonctions du cerveau (naohu 脑户), il stimule le fonctionnement cérébral[23].

Les applications de la théorie du qi[modifier | modifier le wikicode]

La médecine chinoise se base en grande partie sur la notion du qi. Dans cette médecine, on y distingue les liquides organiques, le sang et le qi, qui est lui-même subdivisé en plusieurs types. La notion de qi est à l'origine de techniques comme l'acupuncture et les massages, qui consistent à stimuler les points de rencontre des méridiens. Elle inspire des théories chinoises de l'équilibre alimentaire et des exercices tels que ceux pratiqués dans les arts martiaux dits « internes », le taiji quan ou le hsing i, ainsi que la gymnastique basée sur la respiration, le qi gong. Leur but est de maintenir l'équilibre et le dynamisme du qi dans le corps, voire de le manipuler. De même au Japon, le but du shiatsu (massages) et des exercices physiques (dont les exercices respiratoires) est de stimuler le ki.

La maîtrise du qi fait aussi partie de l'enseignement avancé des bouddhistes et des taoïstes à travers la méditation et divers exercices, ce qui met l'accent sur l'aspect du qi lié à l'activité mentale.

Le qi est aussi présent dans la calligraphie et la peinture, comme la peinture chinoise de type xieyi (xiě yì huà 写意画 ). L'impression d'harmonie qui se dégage des mouvements du pinceau révèle une bonne circulation du qi, à la fois chez l'artiste et dans l'imprégnation des pigments dans le support.

Le qi et les arts martiaux[modifier | modifier le wikicode]

Les arts martiaux chinois (wushu) 武術 et japonais (budo) font énormément référence à cette notion, respectivement le qi ou le ki. Ceux d'origine vietnamienne, coréenne ou indienne utilisent également cette notion dans leur pratique.

Arts martiaux chinois[modifier | modifier le wikicode]

Tous les arts martiaux chinois utilisent la notion de qi, à ceci près que certains mettront l'accent sur la maîtrise de la circulation et la manipulation du souffle plutôt que sur l'exercice musculaire. On distingue ainsi les arts martiaux internes, nèijiā quán 内家拳, des arts martiaux externes, wàijiā quán 外家拳[24]. Les applications du taiji quan manipulent le qi en tant que ressource pour renvoyer une force vers l'adversaire après avoir détourné la sienne. Le dāntián est fondamental ; « faire descendre le souffle », une technique de respiration avec le ventre imitant celle des nourrissons, permet d'ancrer les postures et d'améliorer la circulation du qi. Lors d'entraînements de taiji quan, que ce soit l'exercice de la poussée des mains tuī shǒu 推手 ou le combat libre sǎnshǒu 散手, l'attention portée à ces fondamentaux permet de travailler mieux (en respirant par le ventre le souffle peut être plus profond), plus longtemps, plus efficacement en plus de rendre les mouvements aussi fluides que possible. Dans la croyance du qi, la mise en circulation de l'énergie dans les méridiens générée par les enchaînements du taiji quan est identique à ce que produit l'acupuncture.

Le kung fu 功夫 shaolin (plus exactement shàolín wǔshù 少林武術) s'appuie pour certaines techniques sur le ciblage de points précis du corps, spécialement sensibles, afin de rendre les attaques plus efficaces.

Lors des guerres, les médecins stimulaient la circulation du qi pour prolonger la période pendant laquelle les prisonniers de guerre pouvaient être torturés si l'on désirait obtenir des informations sur l'ennemi.

Arts martiaux japonais[modifier | modifier le wikicode]

Pour désigner le ki, on utilise parfois l'expression « souffle-énergie » (kokyu-ryokyu).

Dans les arts martiaux japonais, lorsqu'un coup est porté (atemi en japonais), c'est le ki du frappeur qui est transmis à l'adversaire et provoque la blessure ; à ce titre, l'important est plus de frapper un point vital (rencontre de méridiens) que de mettre de la puissance physique. Le cri, kiaï (parfois vu à tort comme le « cri qui tue » des karatékas), est une autre manière d'extérioriser le ki. Lors des exercices de casse (de briques, tuiles, planches, pierres, blocs de béton…), le ki est concentré à l'extrémité du poing et provoque la rupture. La concentration du ki dans le seika tanden est un des éléments fondamentaux des budo : les hanches sont la liaison entre le haut du corps (qui manipule les armes) et le bas du corps (la stabilité). D'un point de vue symbolique, le seika tanden réalise la liaison entre « le ciel et la terre » (tenchi), notion que l'on peut traduire par unification entre l'intention (le ciel, la pensée) et l'énergie (la terre) ; on peut par exemple y voir la métaphore d'un arbre qui puise sa nourriture dans la terre pour tendre vers le ciel.

Le ki reliant les êtres, il relie également les deux adversaires (ou partenaires dans le cadre d'une pratique amicale). Ainsi, un des principes de l'aikido est d'unir les énergies des partenaires afin de supprimer l'agression. Au kyudo (tir à l'arc zen), on considère que la flèche est reliée à la cible, qu'elle fait déjà partie de la cible avant même d'être décochée.

La notion de vigilance, le zanshin que l'on retrouve dans tous les arts martiaux japonais (y compris le ninjutsu, l'art des ninjas), s'appuie aussi sur le concept de ki. À travers le ki, on peut « sentir » l'intention de l'ennemi, ce qui permet de riposter plus efficacement, voire d'agir avant que l'adversaire ait pu lui-même agir. On utilise également le terme sen pour désigner cette action simultanée (sensen no sen : attaque anticipant l'action adverse ; go no sen : riposte anticipant l'action ; sen no sen : attaque simultanée).

Les arts martiaux japonais font également appel à la médecine traditionnelle, avec les notions de kappo et katsu, par exemple pour « réanimer » une personne sonnée.

Expressions[modifier | modifier le wikicode]

  • 元气 (en chinois, yuánqì) : originel + souffle : le souffle originel à l'origine du monde ;
  • 天气 (en chinois, tiānqì ; en japonais, tenki) : ciel + souffle = temps (météorologie) ;
  • 生气 (en chinois, shēngqì) : naître + souffle = se mettre en colère ;
  • 脾气 (en chinois, píqi) : rate + souffle = colère ;
  • 气质 (en chinois, qìzhì) : souffle + qualité = grâce (employé pour apprécier le raffinement d'une femme) ;
  • 合気 (en japonais, ai ki) : union des énergies ;
  • en japonais, ki no nagare : continuité du ki, désigne la fluidité des mouvements, par exemple l'application d'une technique d'aikido sans marquer d'arrêt et en maintenant constamment le déséquilibre du partenaire (s'oppose à kihon waza, techniques de base en tant qu'élément du mouvement complet)
  • en japonais, genki : forme physique, « genki desu ka ? » — « Tu vas bien ? » « Tu es en forme ? »

Inspiration[modifier | modifier le wikicode]

La notion de ki a inspiré la notion de Force dans l'univers de Star Wars, qui est d'ailleurs globalement très inspiré du Japon médiéval (forme des casques des soldats de l'Empire, scénario inspiré de La Forteresse cachée de Kurosawa, analogies redondantes entre Jedi et Samouraï…).

Les mangas rendent très souvent compte de cette notion qui est courante dans les sociétés asiatiques (Dragon Ball, Ranma 1/2…)

Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

Notes
Références
  1. Lin Housheng, Luo Peiyu, 300 questions on qigong exercises, What is meant by Qi in qigong, p. 21, Guangdong Science and Technology Press, Guangzhou (China), 1994. (ISBN 7535912699)
  2. DENG Yu et al,Ration of Qi with Modern Essential on Traditional Chinese Medicine Qi: Qi Set, Qi Element, JOURNAL OF MATHEMATICAL MEDICINE (Chinese), 2003, 16(4)
  3. DENG Yu, ZHU Shuanli, Deng Hai, Generalized Quanta Wave with Qi on Traditional Chinese Medecine, JOURNAL OF MATHEMATICAL MEDICINE, 2002, 15(4)
  4. Deng Yu,TCM Fractal Sets,Journal of Mathematical Medicine,1999,12(3),264-265
  5. (ru) Titarenko (M. L.), Kitaiskaia Filosofiia : Entsiklopedicheskii Slovar, Institut Dalnego Vostoka (Rossiiskaia akademiia nauk), éditions Mysl, 1994. (ISBN 5-244-00757-2)
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  8. Cheng (Anne), Le renouvellement intellectuel des IIIe et IVe siècles, Entre indifférencié et principe structurant, in Histoire de la pensée chinoise, Seuil-Points collection Essais, 1997, page 336 (ISBN 9782020540094)
  9. Elman (Benjamin A.), From Philosophy to Philology, Intellectual and Social Aspects of Change in Late Imperial China, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1990, p. 19 et 20.
  10. Xu Zhongshu (徐中舒), Jiaguwen Zidian 甲骨文字典 (dictionnaire des graphies sur os et carapaces), éd. Chengdu, Sichuan sishu (成都 : 四川辭書出版社), 1989.
  11. Chen (Chusheng) 陳初生, Jinwen changyong zidian 金文常用字典, (Dictionnaire des caractères fréquents dans les inscriptions sur bronze), Shanxi : Renmin chubanshe, 1987.
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  17. Giovanni Maciocia, Les principes fondamentaux de la médecine chinoise, Elsevier Masson, 2008, pp. 43-45, 1286 p. (ISBN 2842999592)
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  19. Xue Li Gong, Traitement de 43 Maladies en acupuncture traditionnelle - (Maladies pour lesquelles l'efficacité de l'acupuncture est reconnue par l'OMS), traduit par Lin Shi Shan, Institut Yin-Yang, 2010. (ISBN 978-2910589301)
  20. Bi Yongsheng, Chinese qigong, Outgoing-qi Therapy, The channels and collaterals, pp. 51-62, Shandong Science and Technology Press, Jinan (China), 1992. (ISBN 7533110412)
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  22. Maciocia (Giovanni), Les principes fondamentaux de la médecine chinoise, chapitre 53 Les huit merveilleux vaisseaux, pp. 897-950, édition Elsevier Masson SAS, Issy-les-Moulineaux, 2008. (ISBN 978-2-84299-959-9)
  23. Guan-Cheng Sun, The Physiology of the 3 Gates in the Process of Energetic Development, in Qi, the journal of Traditionnal Eastern health and Fitness, Vol. 14, No. 2 : Summer 2004.
  24. Charles (George), Les exercices de santé du Kung Fu, Albin Michel, collection Arts de vivre d'Orient, 1983. (ISBN 2226017410)

Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Traité d'acupuncture et de moxibustion / médecine traditionnelle chinoise (éditions des sciences et techniques de Shangai)
  • L'acupuncture moderne pratique / L'acupuncture et les sports / Dr R. de la Fuye (librairie E. Le François 91, bd St Germain, Paris)
  • Le livre du Ki - L'unification de l'esprit et du corps dans la vie quotidienne, de Koichi Tohei (Guy Trédaniel Éditeur)

Articles connexes[modifier | modifier le wikicode]

Liens externes[modifier | modifier le wikicode]