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Le neuvième problème de Hilbert

En 1900, à Paris, lors du IIe Congrès international des Mathématiciens, Hilbert avait dressé une liste de 23 problèmes ouverts qui lui semblaient fondamentaux et dont la résolution était un défi pour le XXe siècle. Le neuvième de ces problèmes consistait à établir une loi de réciprocité dans les corps de nombres algébriques.

On pourra remarquer que plusieurs sujets de T.E.R., outre le nôtre, recoupent des problèmes mis en évidence par Hilbert : le quatrième sur les géométries non euclidiennes, le septième sur la transcendance de certains nombres, le dix-huitième sur les pavages (de l'espace), le vingtième sur le problème de Dirichlet...

A cette époque, une nouvelle étape dans la recherche de lois de réciprocité générales avait été franchie par Hilbert avec ses deux articles : Die Theorie der algebraischen Zahlkörper et Über die Theorie der relativquadratischen Zahlkörpern, Jahresber. Deutsch. Math., 1897 et 1899, dans lesquels il a éclairci leurs aspects locaux. Il avait établi, dans certains cas, une loi de réciprocité pour le symbole de Hilbert :

\begin{displaymath}
\prod _{\mathfrak P}\left(\frac{a,b}{{\mathfrak P}}\right)=1.\end{displaymath}

Il avait aussi noté l'analogie entre cette formule et le théorème sur les résidus d'une fonction algébrique : ses points réguliers (dont la norme de Hilbert $\not = 1$) correspondent aux points de branchements sur une surface de Riemann (i.e. une variété analytique complexe de dimension 1).

La première moitié du XXe siècle a vu diverses avancées dans l'étude des lois de réciprocité dues à Furtwängler, Artin, Hasse et Takagi. La loi de réciprocité dans les corps quadratiques dans le cas général est due à [Hecke] et la forme la plus élaborée a été obtenue par une apothéose due à I.R. Shafarevich : A general reciprocity law, Uspekhi Mat. Nauk., 1948.
Elle est, tout comme la loi de réciprocité de Gauss, très liée à l'étude de la décomposition d'un idéal ${\mathfrak P}$ d'un corps de nombres algébriques ${\mathbb K}$ dans une extension algébrique ${\mathbb L}/{\mathbb K}$ à groupe de Galois abélien. En particulier, la théorie des classes, qui donne la solution de ce problème, peut être basée sur la loi de réciprocité de Shafarevich comme l'ont fait Lapin, Cassels et [Neukirch].

Au jour d'aujourd'hui (redondance pléonastique voire superfétatoire ?), il reste quelques grandes conjectures offertes au monde mathématique. Gageons qu'elles figureront sur la liste des problèmes ouverts pour le XXIe siècle.

Nous citerons les suivantes, qui sont plus ou moins en rapport avec notre sujet : - la conjecture de Riemann affirme que la fonction $\zeta$ (une fois prolongée analytiquement à ${\mathbb C}-\{ 1 \} $) ne s'annule que sur la droite Re(z)=1/2 (à l'exception des zéros triviaux $-2{\mathbb N}^*$). La conjecture de Riemann généralisée affirme la ``même chose'' pour les L-séries de Dirichlet. Ces dernières sont définies par

\begin{displaymath}
L(s,\chi)=\sum_{n=1}^{\infty}\chi(n)n^{-s}\end{displaymath}

$\chi$ est un caractère modulo k. La convergence a lieu si Re(s)>0 pour les caractères non principaux. Un caractère est un homomorphisme d'un groupe ${\mathbb G}$ dans le groupe multiplicatif ${\mathbb C}^*$.Il est dit principal s'il est constamment égal à 1 (on aurait pu plus simplement l'appeler caractère trivial). $\chi_k$, le caractère modulo k, est défini par $\chi_k(n)=0$ si $(n,k)\not = 1$ et par $\chi_k(n)=\chi(n \ {\bmod}\ k)$ sinon. On a l'équivalent de l'identité d'Euler :

\begin{displaymath}
L(s,\chi)=\prod_{p} (1-\chi(p) p^{-s})^{-1}.\end{displaymath}

Les L-séries interviennent dans la démonstration du théorème de la progression arithmétique (voir §). Il y a un lien important entre la factorisation de polynômes sur des corps finis et la conjecture de Riemann, de plus le rapport entre la factorisation de polynômes et la notion de résidu quadratique (ou d'ordre supérieur) transpire au regard de l'équation $x^n \equiv a \ [p]$.

- la conjecture P $\not =$ NP : tout problème résoluble en temps polynomial non déterministe est-il résoluble en temps polynomial ? C'est-à-dire : si on peut vérifier une solution en temps polynomial, peut-on la trouver en temps polynomial ? Bien sûr, quelque soit la réponse, il restera toujours à trouver des algorithmes de complexité minimale pour une multitude de problèmes...On connaît l'importance de tels progrès, et les retombées qu'ils pourraient avoir, en cryptographie notamment, puisque cette dernière est basée sur l'hypothèse que la factorisation ou que le logarithme modulaire sont NP.

- les mathématiciens, du moins ceux qui ne sont pas trop découragés par la réponse négative de Matijasevich au dixième problème de Hilbert (on s'est même demandé si le problème de Fermat n'était pas indécidable !), n'ont toujours pas résolu moult équations diophantiennes (Waring, Catalan).

- on ignore encore si de nombreuses familles de nombres vérifiant telle propriété sont finies : par exemple les nombres premiers jumeaux (p,p+2), repunits (1...1), de Mersenne (2n-1), de Fermat (22n+1), de Cullen ($n2^n\pm1$), de Sophie Germain (p, 2p+1), réguliers (voir §), de Wieferich ($2^{p-1}\equiv 1 \ [p^2]$), de Wilson ($(p-1) ! \equiv -1 \ [p^2]$) [Guy].

- voici, pour finir, un problème important de la théorie des nombres : la conjecture ABC. Soit $\mathcal E$ l'ensemble des triplets (A,B,C) d'entiers vérifiant

\begin{displaymath}\frac{ \ln {\textrm{max}}(\vert A\vert,\vert B\vert,\vert C\vert)}{\ln R} \geq \eta\end{displaymath}

avec A+B=C et pgcd(A,B,C)=1 et où R est le plus grand entier sans carré divisant ABC. La conjecture affirme que $\mathcal E$ est fini. La conjecture ABC généralisée affirme la même chose avec des n-uplets.
Pour les connexions entre la conjecture ABC et différents grands problèmes de la théorie des nombres, on pourra consulter [Granville] et la thèse d'A. Nitaj : Conséquences et aspects de conjectures ABC et de Spiro, université de Caen, 1994.
Par exemple, le lien avec le grand théorème de Fermat se fait en posant : ap=A, bp=B, cp=C et alors, puisque A+B=C, on est ramené à l'étude de la courbe elliptique y2=x(x-A)(x+B) de discriminant (4ABC)2 (voir §). D'après une idée de G. Frey, K. Ribet a montré en 1988 qu'une courbe elliptique associée à des solutions de ap+bp=cp ne peut être modulaire. Or la conjecture de Taniyama-Weil (1955, 1967) implique que les courbes de Frey sont modulaires. Wiles (en juin 1993, puis comblant le fameux 'trou' avec R. Taylor en septembre 1994) a démontré un cas suffisamment large de cette conjecture pour impliquer la contradiction. Notons par ailleurs que, en 1977, G. Terjanian a utilisé la loi de réciprocité quadratique pour démontrer un cas général du "premier cas du théorème de Fermat" (i.e. l'équation mod n).


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Cyril Banderier
7/23/1997